Hommage à Philippe Moreau Defarges, par Pascal Perrineau
Philippe Moreau Defarges, enseignant reconnu à Sciences Po et observateur avisé des relations internationales, est décédé le 15 janvier 2025. Il laisse derrière lui une empreinte indélébile sur ses nombreux étudiants, et ses œuvres publiées continuent d'être des références.
Né le 19 avril 1943 à Paris, Philippe après des études au lycée Janson de Sailly intégre Sciences Po, tout en poursuivant des études de droit, puis ensuite l’ École Nationale d'Administration (ENA) , promotion Robespierre (1970).
Pour son service militaire, Philippe est affecté à l'ambassade de France à Phnom Penh, au Cambodge, avant de rejoindre le Quai d'Orsay. En parallèle de sa carrière diplomatique, il enseigne les relations internationales et la culture générale dans le cadre de la préparation au concours d'entrée de l'ENA. Son approche éclectique de l'enseignement inclut des références aussi variées que celles du général de Gaulle, Louis Aragon, ou encore Jean Ferrat, même s'il ne partageait pas toujours l'enthousiasme de ce dernier pour Robespierre.
À son retour, après un stage préfectoral à Privas et l’ENA, il rejoint Paul Dijoud au Secrétariat d'État auprès du ministre du Travail.
En 1981, il intègre la direction des affaires juridiques au Quai d'Orsay, où il publie son premier manuel de relations internationales, La Dérive des Puissances, dont la couverture verte suscitait des commentaires : si la Chine avait son Petit Livre Rouge de Mao, les étudiants de Sciences Po avaient leur « Petit Livre Vert » de Philippe.
Deux ans plus tard, il rejoint l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), où il passera plus de 30 ans, co-dirigeant le rapport RAMSES, devenu une référence clé dans la vie politique française. C'est également à cette époque qu'il publie son premier ouvrage sur l'Europe.
Bien que parfois perçu comme distant et réservé, Philippe se révélait chaleureux, plein d'humour, bienveillant, et ouvert au dialogue. Il possédait une culture immense, mais ne l'imposait jamais de manière pesante ou écrasante. Son intelligence était aussi vaste que sa culture, couvrant des domaines aussi variés que l’histoire, la littérature et le cinéma.
Au milieu des années 1990, il publie son troisième ouvrage, axé sur le rôle de la France dans le monde au cours du XXe siècle, qui connaît un grand succès.
Philippe tenait profondément à son indépendance, dédaignant les honneurs, les intrigues et le pouvoir. Avant tout, il était un homme de réflexion et un pédagogue très estimé, consacrant sa vie à la lecture, l'écriture et l'enseignement. Les milliers de pages qu'il a écrites en témoignent .
Bien qu'il fût fier du succès de ses ouvrages, tels que sa trilogie La Géopolitique pour les Nuls, L'Histoire du Monde pour les Nuls, et L'Histoire de l'Europe pour les Nuls, Philippe évitait les honneurs et les mondanités.
Il avait des convictions fortes mais ne les imposait jamais aux autres. Parmi celles-ci, une adhésion indéfectible à l'intégration européenne, à la démocratie et à la liberté d'expression. Il était bien plus proche du libéralisme de Raymond Aron que du marxisme de Jean-Paul Sartre, et il s'opposait à toute forme de fanatisme, qu'il soit religieux ou autre. Bien qu'il reconnaisse le rôle central de l'État dans les affaires internationales, il n'était pas souverainiste, gardant ses distances vis-à-vis des mouvements populistes et altermondialistes. Les profondes injustices et inégalités qui divisent la communauté internationale ne le laissaient toutefois pas indifférent, comme en témoignent ses réflexions sur la mondialisation.
Philippe était avant tout un homme d'une grande intégrité intellectuelle, animé par une passion pour la compréhension du monde. Il incarnait en quelque sorte une figure des Lumières, un « honnête homme » classique, parfois un humaniste désabusé, mais toujours un chercheur de vérité.
Pour conclure cet hommage, rappelons une citation particulièrement pertinente de la page 92 de La Géopolitique pour les Nuls qui fait écho à l’histoire récente : « La paix n’est qu’une trêve, pendant laquelle ceux qui le peuvent rassemblent leurs forces pour la revanche. »

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