Services de presse entre Alumni #26 : Soleils invincibles, de Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye
09/07/2025
« La plume de l'auteur est puissante, sincère, et surtout, elle ne ressemble à aucune autre » : Sylvaine Boussuard - Le Cren (promo 1982) nous explique pourquoi elle a adoré Soleils invincibles de Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye (promo 2020), paru en janvier 2025 chez Présence Africaine.
Le livre
L’auteur
Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye sur Babelio
Né en 1993 à Diourbel au Sénégal, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye a étudié au Burkina Faso (Prytanée Militaire de Kadiogo), en France (Sciences Po Paris, Dauphine, ENA) et aux États-Unis. Écrivant en wolof, français et anglais, il partage sa vision unique de l’Afrique à travers son blog Assumer l’Afrique et ses nombreux recueils de poésie.
En 2025, il publie aux éditions Présence Africaine son premier roman, Soleils invincibles, qui aborde l'exil, les tensions familiales ainsi que les mémoires coloniales d’une manière totalement inédite et originale.
Présentation du livre par la maison d'édition
Dramane, étudiant ambitieux, voit sa vie bouleversée lorsqu’il est expulsé de Cissane, pays de ses rêves. De retour à Toumouranka, il doit affronter le passé qu’il a fui. Sa mère l’attend patiemment sur le pas de la porte, tandis que le silence de son père et l’absence mystérieuse de ses sœurs pèsent comme un lourd secret. Dans un monde où l’espoir se mêle au désarroi, Dramane s’engage dans une quête acharnée : retourner à Cissane, coûte que coûte. Entre alliances inattendues et sacrifices déchirants, il rejoint les rangs des « Candidats », ces âmes en quête d’un avenir meilleur. Certains fuient leur terre natale, d’autres rêvent d’y revenir, mais tous partagent le même désir brûlant de liberté.
Avec une plume à la fois incisive et pleine d’humour, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye nous entraîne dans une aventure humaine palpitante, où chaque page résonne d’émotions et de vérités universelles. Soleils invincibles est une œuvre magistrale qui captive le lecteur et le pousse à réfléchir bien au-delà de sa dernière ligne.
Un extrait choisi par Sylvaine : l'incipit
Certains cachent leur sac dès que j'entre dans le métro.Au début, je croyais que c'était à cause de mes vêtements. J'évitais alors de porter une casquette, une capuche, un jogging. Me vêtais d'un pantalon-chemise assorti d'une cravate, sans parvenir à paraître plus respectable.J'ai parfois envie de leur crier que même si je m'appelle Dramane, même si je viens de Toumouranka, même si je suis aussi noir que le goudron, je ne suis pas un voleur. Mais comment pourrais-je le leur dire, moi qui surveille ma propre respiration par crainte de déranger ?
L'avis de Sylvaine
Un titre mystérieux, mais riche de sens
L'auteur explique lui-même le titre, mystérieux, dans une interview donnée à RFI en mai 2025 :
« Au début, c’était Les déchets de la terre, un clin d’œil à Fanon et ses Damnés de la Terre. C’était aussi un clin d’œil à une autrice majeure, Aminata Sow Fall, autrice de La Grève des bàttu. On oublie souvent que ce roman avait pour sous-titre « Les déchets humains ». On parle parfois de l’Afrique ou des Africains ou des migrants en ces termes, avec tous les pays qui veulent fermer les frontières à nos ressortissants, et même parfois l’océan rejette nos cadavres. J’avais besoin de sortir de cette métaphore dégradante, défaitiste. Je voulais une incarnation plus forte, plus valorisante. Pour moi, « Soleils », c’est toutes ces personnes, où qu’elles se trouvent sur la planète, qui s’évertuent à imposer leur dignité ».
Une galerie de personnages qui agissent avec leurs blessures, leurs convictions et leurs rêves
Centré autour de Dramane, lucide, désabusé, mais toujours habité par une forme d’espérance tragique qui nous narre son histoire et nous fait partager son ressenti et ses émotions, ainsi que ses pensées et réflexions sur l’état tant de son pays d’origine que de son pays d’adoption, le récit comporte aussi d’autres voix : membres de sa famille, amis plus ou moins proches, ou simples habitants de Biomo ou de Cissane, voix qui elles aussi ont leur propre histoire à raconter.
Ainsi, à Biomo, la mère, Thérèse, est une figure de tendresse et de mémoire, soutien de ses enfants, elle porte aussi le poids de secrets enfouis.
Le père, Ngougui, représente la distance affective et l’autorité patriarcale non exprimée, il s’exprime de façon poignante par des lettres posthumes.
Parmi les jeunes frères, Seydou est resté au pays, engagé politiquement, critique de l’exil et de la fuite, il incarne l’alternative intérieure. Modibo et Kwamé, plus jeunes, apportent un peu plus de légèreté et d’humour dans le récit.
Les sœurs sont Tabara, écartée de la famille car enceinte hors mariage et Katy, très attachée à son père.
Denis-Béni est l’ami d’enfance qui n’a pas pu quitter Biomo, mais qui en a tiré profit en devenant « Monsieur le conseiller spécial du ministre de l’administration publique de la république de Biomo ».
L’instituteur, Julius Glorius Mapoto, figure tutélaire et humoristique.
Et enfin, Christophe Dechert, le blanc expatrié, chef d’entreprise, archétype de nombreux colons.
À Cissane, Dramane a rencontré un ami, presque un frère d’adoption, Lahsen, le collègue de chantier dont l’accident sera l’élément déclencheur de sa quête.
Il a aussi fréquenté Aurélie qu’il croira être son grand amour et avec laquelle il a cru pouvoir fonder une famille, et Sarah, aventure d’un soir qui prétendra attendre un enfant de lui, personnage éphémère mais essentiel à la phase de rupture avec Guétoula.
Sur les routes de Toumouranka, Dramane sera aussi confronté aux passeurs et aux « Généreuses » qui incarnent l’économie de l’exil clandestin et la marchandisation des rêves.
Chaque personnage agit avec ses blessures, ses convictions, ses rêves – et c'est ce qui rend le roman si juste et bouleversant.
Un style original et nourri de métaphores
L’écriture de l’auteur est personnelle et originale, riche en observations et en émotions ; elle utilise plusieurs registres selon le personnage qui prend la parole, ce qui fait du roman un récit très vivant, imagé, coloré et parfois musical qui surprend le lecteur à chaque chapitre et maintien son intérêt jusqu’à la dernière page.
Le style est empreint de poésie, nourri de métaphores, de jeux d’images, plusieurs chapitres sont de véritables poèmes en prose. Des scènes poignantes d’expulsion, de retour raté, de lettres désespérées s’entremêlent avec des passages plus lyriques, introspectifs, notamment les lettres du père, les souvenirs de l’enfance.
Le récit comporte aussi des aspects plus philosophiques avec des réflexions sur l’échec, l’exil, la justice, le sens de l’identité.
Voici, par exemple, comment Dramane évoque ses retrouvailles avec sa mère :
Ma mère sursaute en me voyant franchir la porte. Son corps longiligne se déploie vers le ciel, tandis que son visage reste enveloppé par l'obscurité. Une obscurité fine, fragile, mais acharnée, qui résiste à la peine lune. Le vent froid remue son ample boubou. Et fait flotter son foulard de tête, dont elle a toujours disposé les deux pans comme des ailes de papillon. Des profondeurs de son corps, droit et immobile, fusent ses mots, qui me parviennent avec le tonnerre du Jugement dernier.
Illusions perdues et solidarité familiale
Destins brisés, illusions perdues, tensions culturelles, désillusion migratoire, mais aussi solidarité familiale, ce roman dépeint de façon poétique une réalité que beaucoup préfèrent ignorer et c’est, précisément, ce caractère poétique qui évite tout misérabilisme et nous permet d’aller au bout du récit et d’en sortir sinon, transformés du moins mieux éclairés que par l’évocation donnée par les médias occidentaux.
La mise en évidence du choc entre traditions africaines et influences occidentales est faite de façon subtile mais sans concession. L’auteur, par sa capacité à entremêler l’intime, l’identitaire et le politique, porte sur le monde contemporain un regard lucide et empathique en explorant les trajectoires d’exil, les quêtes d’identité et les fractures familiales dans le contexte des migrations africaines contemporaines.
Pourquoi ce livre devrait plaire aux Alumni de Sciences Po
Je vous recommande vivement ce livre. La plume de l'auteur est puissante, sincère, et surtout, elle ne ressemble à aucune autre. Ce roman nous donne matière à réflexion sans jamais être pesant ou sentencieux. Il nous permet de mieux comprendre un continent, l’Afrique, ses habitants et leur vie.

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