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Service de presse entre Alumni #36 : Nos années sombres, de Guillermo Martin

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Club Littérature

Chroniques littéraires

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11.09.2025

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« Une magnifique histoire d’amour, traitée avec émotion mais sans aucune mièvrerie, et une formidable occasion de comprendre, sans didactisme ni ennui, ce que furent les « années sombres » au pays basque espagnol » : Sylvaine Boussuard-Le Cren (promo 1982) nous explique pourquoi elle a été irrésistiblement embarquée dans Nos années sombres de Guillermo Martin (promo 1997), « roman essentiel » paru en septembre 2025 en auto-édition sur Kobo Writing Life.


Le livre


L’auteur

Guillermo Martin sur le site Babelio


Diplômé de SciencesPo Paris en 1997, Guillermo Martin est consultant, enseignant, conférencier et auteur. Dans sa carrière, il a occupé des postes de direction dans le conseil en politiques publiques, au sein d'une collectivité locale et à SciencesPo Paris, où il a a été successivement Directeur scientifique du Master « Gouvernance Territoriale et Développement Urbain », Directeur exécutif de l’École urbaine et Directeur de la branche « Affaires publiques et régulation » de l'Executive Education.

Auteur d'Alaska et autres nouvelles d'anticipation, recueil de nouvelles chroniqué pour le club Littérature en 2023, et de Lucía, nouvelle publiée par Émile en 2025, il a également fait partie du comité de lecture du prix littéraire des SciencesPo.


Présentation du livre

Ivan, ancien sympathisant de la cause indépendantiste basque, revient à Bilbao pour enquêter sur la disparition de son amour de jeunesse, Leire. Dans un pays meurtri par le conflit entre les terroristes de l'ETA et les milieux policiers alliés au grand bandistime, il suit sa trace et découvre la croisade quasi mystique qu'elle a engagée contre tous ceux qui l'ont condamnée à la violence.


L'avis de Sylvaine,
émaillé de citations qui vous feront découvrir une plume à la Chandler


Des personnages aux destinées sombres, dans un monde qui ne l'est pas moins

Ivan B., le narrateur, est né d’un père français et d’une mère basque espagnole dont on découvre très vite qu’elle s’est suicidée lorsqu’Ivan n’avait que onze ans. Ses liens avec le pays basque espagnol passaient par ses grands-parents, récemment décédés ; l’appartement de ceux-ci qui lui évoque des souvenirs d’enfance. 

Leire, son amour de jeunesse, militante de la cause basque, tente d’accéder à une vie libérée du machisme et d’échapper à la prison. Elle fera preuve de courage et d’intelligence pour parvenir à ses fins. 

On voit aussi apparaître toute une galerie d’individus divers, pro ou anti nationalistes basques, qui chercheront à aider Ivan dans sa quête ou au contraire à l’entraver.

 

Un retour à Portugalete, en pays basque espagnol

Ce roman et sa préface constituent une œuvre de pure fiction inscrite dans un contexte historique. Certains événements mentionnés en arrière-plan de l’intrigue principale sont bien réels. Ils ont été intégrés au récit sur la base de faits établis publiquement. Ce roman est dédié à toutes celles et tous ceux qui ont voulu ou voudront un jour briser le cycle de la violence.

Cet avertissement est bien utile, car dès la préface le lecteur peut être troublé :

Les documents que vous allez pouvoir lire dans les pages suivantes sont issus dun carnet manuscrit attribué à Ivan B. Ce carnet a été retrouvé en avril 2006 par ses enfants, au milieu dautres effets personnels, alors quil venait de décéder des suites dune longue maladie. Peu de temps après, ces mêmes enfants ont transmis le tout aux autorités judiciaires espagnoles et françaises, ainsi qu’à plusieurs journaux d’investigation et maisons d’édition. Ils ont expliqué y avoir trouvé des informations importantes concernant les « années de plomb » qui ont meurtri le Pays basque espagnol dans le dernier quart du vingtième siècle.

Et en effet, tout au long du récit, qui démarre en 2006 pour entraîner ensuite les lecteur entre 1984 et 1993, lauteur mêle habilement réalité historique et fiction. Ses personnages imaginaires, Ivan et Leire, en rencontrent dautres, inventés ou ayant existé. Ils participent à des évènements qui ont marqué les deux dernières décennies du XXème siècle. 

Le récit prend la forme d’un journal commençant le 7 novembre 1993, où Ivan narre les motivations de son retour à Portugalete, terre de ses grands-parents maternels, à la suite d’un appel au secours reçu de Leire, son amour de jeunesse.

Ce matin, le garde-civil en faction à la frontière ma vraiment fait une drôle dimpression. Je me suis dit : il serait capable de te coller une balle dans la tête sans la moindre hésitation si cela savérait nécessaire. Alors après lui avoir donné mes papiers, j’ai gardé les yeux soigneusement rivés vers le sol et jai attendu que ça passe. Le contrôle achevé, j’ai été carrément soulagé davoir fini de traverser la Bidassoa, le fleuve qui sépare Hendaye et Irun, la France et lEspagne. À partir de là, j’ai dû marcher pendant une bonne demi-heure avec mon sac sur le dos, longer les stations-service et les zones logistiques, pour finalement arriver au centre-ville dIrun. Les bus étaient rangés comme d’habitude, en enfilade, le long de la rue qui donne accès à la gare routière. Des vieilles dames, des travailleurs et quelques étudiants attendaient sous le crachin. Madrid, La Coruña, Burgos, Bilbao, derrière les grands pare- brises, les destinations s’affichaient en lettres majuscules sur des cartons blancs.

Le style est nerveux et fait parfois penser aux auteurs de polars américains tels Chandler ou Hammett

Le commando arrive à lheure du déjeuner. Je me demandais de quelle génération seraient ces gens : lancienne, celle des idéologues, ou lactuelle, celle des chiens enragés. Lhomme qui franchit le premier le seuil apporte aussitôt la réponse. La trentaine, les cheveux en bataille, il arbore une boucle à loreille droite et marche comme un taureau furieux. Dans son sillage, une femme, plus jeune encore, toute en dureté, le visage maigre et rigide. Ils nont pas besoin de prendre la parole pour se faire comprendre. Je suis le mouvement : direction la voiture garée un peu plus loin. Mes ravisseurs prennent la route historique, celle des magasins de meubles et des bordels, direction Bilbao. Assis à larrière de la Renault Espace, une étrange idée me vient : je me vois comme lenfant de ce couple terrifiant, je regarde leurs nuques raides et je me demande de quoi seraient vraiment capables ces parents imaginaires. Pourraient-ils me faire du mal, à moi aussi ? Le véhicule dépasse la zone commerciale, pour repiquer vers le port. Je me souviens des discours triomphants des urbanistes, annonçant l’émergence dune nouvelle centralité, suite au déménagement des infrastructures portuaires vers le bout de lestuaire, face à la haute mer. Des milliers dhectares libérés, pour laisser la place à une ville nouvelle, apaisée, moderne, européenne. Débarrassée de lindustrie et de la lutte armée. En attendant les lendemains qui chantent, le coin regorge toujours dentrepôts où lon peut emmener des traîtres comme moi pour les passer à la question. Je décide de renommer « Lui » et « Elle » mes ravisseurs, sachant quils ne donneront jamais leurs noms. Ce qui pique le plus ma curiosité, cest de savoir sils forment ou non un couple. Peut-être ont-ils une relation épisodique entravée par la cause, sacrifiée à elle ? Je me demande : quand on tue à deux, est-ce quon peut faire lamour, après ? Est-ce que la mort agit comme un aphrodisiaque pour ceux qui la donnent, ou est-ce quelle vous assèche totalement la libido ? Je pourrais utiliser le temps du trajet pour mettre au point une stratégie rhétorique, un argumentaire, mais jai choisi de faire simple, pour une fois : tout dire, tout expliquer et croire que ces gens ont gardé un vague lien avec moi, même ténu, une nostalgie des temps anciens, des temps moins coupables, à défaut d'être innocents.

 

Une parfaite maîtrise tant de l'intrigue que du contexte historique

Cette lecture m’a enchantée par la manière dont l’histoire est conduite. Le journal d’Ivan, les lettres de Leire, les allers-retours entre les différentes périodes, les nombreuses péripéties des deux héros, tout est parfaitement maitrisé et ajusté. Ivan et Leire sont deux personnages particulièrement bien développés et attachants. Il y a du suspens et de l’humour, et tout le contexte historique des luttes de l’ETA pour l’indépendance du pays basque et de sa répression par le pouvoir espagnol et ses milices (GAL) est passionnant


Une plongée dans des années sombres au travers de personnages qui vivent malgré tout une magnifique histoire d'amour

Nos années sombres est un roman essentiel, car c’est à la fois une magnifique histoire d’amour, traitée avec émotion mais sans aucune mièvrerie, et une formidable occasion de comprendre, sans didactisme ni ennui, ce que furent les « années sombres » au pays basque espagnol et les drames qui ont pu briser des vies. 

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