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Service de presse entre Alumni #35 : Dissolution, de Clovis Villette

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Club Littérature

Chroniques littéraires

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11.06.2025

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« Un roman intelligent, généreux et ambitieux : accessible, haletant et pourtant nourri de références, il napporte pas de solution mais affronte les contradictions avec nuance »  : Sylvaine Boussuard-Le Cren (promo 1982) nous explique pourquoi elle a été impressionnée par la vision de notre monde contemporain qu'apporte Dissolution de Clovis Villette (promo 2022), paru en juillet 2025 en auto-édition.


Le livre


L’auteur


L'auteur se présente ainsi : « Diplômé d'une licence d'économie de Dauphine, je me suis plus tard dirigé vers Sciences Po Paris. Là-bas j'ai eu l'opportunité de découvrir un monde plus politique en travaillant pour une députée à l'Assemblée nationale. Dans ce roman, j'ai voulu revenir sur cette expérience, en dévoiler les coulisses, mais aussi aborder les troubles politiques auxquels est confrontée la jeunesse contemporaine. Cela m'a mené vers un roman d'anticipation réaliste, et l'écologie radicale. »


Présentation du livre

Entre tensions sociales et catastrophes naturelles, la France devient chaque jour plus instable à laube des élections présidentielles.

Deux amis denfance sortent de Sciences Po : lui rêve de rejoindre l'Assemblée nationale, elle de sengager pour l’écologie. La campagne fait rage. Ils découvrent la noirceur derrière les beaux discours, la démocratie vacille.

Dans un monde en perte de sens, entre convictions politiques et passion amoureuse, ce roman interroge sur les limites du militantisme, la place de la culture, et lavenir de lhumanité.


Plusieurs extraits choisis par Sylvaine

François rentra chez lui pour se préparer. À travers la fenêtre de sa chambre de bonne, les toits parisiens paraissaient obscurcis, couverts par un amas d’épais nuages gris aux contours mordorés de lumière. Lorsqu’il redescendit un peu plus tard dans la rue, un vent fort soufflait déjà sur le boulevard et faisait voltiger les feuilles de platane un peu partout. Marchant à grands pas contre les bourrasques, il plissait les yeux, l’esprit revigoré et plein d’espoir à l’idée de réussir cet entretien d’embauche qui lui ouvrirait une nouvelle voie. Il repensait aux critiques de ses amis, à Ambre qui, elle, semblait le comprendre ; elle avait toujours détesté les concours élitistes et, au contraire, admirait les politiques qui vivaient pour leurs idées.
Remarquant le silence d’Ambre, Brianne changea de sujet, soudain inquiète : pouvait-on encore aujourd’hui trouver un travail sans diplôme ? La situation d’inactivité d’Ambre commençait à durer, et elle se trouvait dans l’embarras… Que devait-elle déclarer à ses voisins ? Que sa petite-fille n’avait pas été diplômée de Sciences Po ? Qu’elle était… (elle continua en baissant la voix de peur d’être entendue.) inscrite au chômage ?
— C’est la vérité, rétorqua Ambre en haussant les épaules.
— Les gens n’ont pas besoin de le savoir ! répliqua Brianne plus fortement. Et puis, vu la bonne situation de tes parents, j’aurais espéré que tu ne demandes pas l’allocation…
— C’est bon, je reprendrai Sciences Po en septembre… grommela-t-elle pour mettre fin à la conversation.
— Toi qui dis vouloir être indépendante ! Tu ne l’es pas du tout, puisque tu es assistée par les aides publiques ! s’exclama Brianne, de plus en plus véhémente. À son époque, le travail avait eu, au-delà de la seule rémunération, une certaine valeur honorifique. Car travailler c’était payer des impôts et ainsi contribuer au fonctionnement du système social. Et il y avait à l’inverse, dans la situation de chômage, une sorte de honte censée motiver les intéressés à retrouver un travail. Brianne semblait torturée par la situation de sa petite fille, sur laquelle elle ne pouvait se résoudre à calquer cette image d’Épinal répugnante de la chômeuse menant une vie flasque, isolée, et rapidement décadente.
— Prends un travail, fais un effort d’abnégation, et tout rentrera dans l’ordre ! conclut-elle avec autorité en les resservant.

L'avis de Sylvaine

Des personnages sympathiques pour qui on tremble

Les principaux protagonistes sont François et Ambre, deux amis issus de Sciences Po, dans une France instable à lapproche dune présidentielle âprement disputée. Ce sont deux jeunes émouvants par leurs doutes et aspirations, ce qui les rend fort sympathiques, on tremble parfois pour eux.

Assis sur son siège, son cœur battait encore la chamade sans paraître vouloir se calmer ; battait-il pour se reposer de la course, se demandait-t-il, ou en prévision de sa rencontre avec Ambre ? Quand le train se mit en mouvement, ses pensées naviguaient déjà dans ce semestre d’automne où il allait chaque semaine chez elle afin de préparer leur exposé. Après avoir assez avancé, elle le menait dans sa chambre pour lui montrer ses dernières toiles. C’étaient des peintures étranges, aux couleurs très vives ou très sombres ; certaines le frappaient directement d’émotions, de beauté, avant même qu’il n’ait compris le sens de la scène.
— Une beauté incompréhensible… analysait-il, méditatif.
— Pff ! Qu’est-ce que tu racontes encore ? se moquait-elle en riant. La beauté ne se raisonne pas, elle est spirituelle !
De retour au salon, elle lui proposait souvent une nouvelle invention qu’elle avait concoctée dans son extracteur de jus.
— J’ai mis un peu tout ce qui me restait… expliquait-elle.
Ils trempaient prudemment leurs lèvres dans le breuvage orangeâtre, critiquant ou admirant son goût inédit, puis la conversation dérivait durant des heures. En dehors de Sciences Po, Ambre reparaissait plus douce, plus sincère, reprenant parfois certains des airs enfantins qu’il lui connaissait.

Sont également très présents : Catherine, la députée qui recrute François, Kevin, assistant et lobbyiste, chargé de la communication de la députée.

En y repensant, elle avait eu de la chance de tomber sur Kévin, ce petit boutonneux à lunettes qui passait son temps à pianoter nerveusement sur son téléphone. Kévin n’avait pour seul diplôme qu’un master en communication d'une école inconnue, mais il était débrouillard et passionné par la politique. Quelque chose en lui l’apaisait, aussi. Son recul sur ces choses. S’il avait toujours tenu secret son encartement de jeunesse, avant de prendre, comme Catherine et beaucoup d’autres, la vague En marche au bon moment, Kévin se montrait sans cesse disponible, l’accompagnait à tous les dîners ou événements nocturnes qu’il dénichait pour l'aider à construire son réseau. Ensemble, ils avaient travaillé dur pour comprendre le fourmillement intellectuel permanent de l’Assemblée nationale, hydre informe aux têtes ambivalentes dont les antennes innervent toute la France. Ensemble, ils formaient une bonne équipe ; elle, travailleuse et réfléchie, lui, malin et volubile, et, bientôt, ils en savaient autant sur les rouages de l’administration que les nombreux attachés parlementaires issus de Sciences Po qui s'affairaient dans les couloirs. Après bientôt deux mandats de collaboration, Catherine aimait penser que Kévin était son plus fidèle allié.

Tous les personnages évoluent dans le « marigot de la politique », où les succès sont éphémères et les déconvenues nombreuses et souvent inattendues. 

 

Un page-turner politico-écologique

Un roman politico‑écologique qui débute par un meurtre plutôt sauvage et peut être définit comme à la fois un page‑turner et une méditation lucide sur la désagrégation morale et idéologique dune démocratie contemporaine. Le récit interroge les limites du militantisme, la place de la culture et lavenir démocratique. 

L’intrigue est prenante : ouverture sur un meurtre, chapitres brefs, dialogues vifs et percutants, mécanique politique nette. 

La plume de Clovis Villette est fluide, efficace, riche, dynamique, et souvent humoristique, on ne s’ennuie pas un seul instant.


— L’examen peut commencer, vous avez 5 heures, annonça le professeur, provoquant un raffut de feuilles retournées.
Sorti brusquement de sa songerie, François se dépêcha de découvrir le sujet : Selon vous, les récentes émeutes en France sont-elles une contrepartie nécessaire à la vitalité démocratique ?
 Il lut et relut la question plusieurs fois, à moitié affolé, lui qui ne connaissait rien aux émeutes, qui n’avait même jamais participé à aucune manifestation ! Il respira profondément, tâchant de ne pas se laisser submerger par la panique. Il avait bien évidemment entendu parler des émeutes qui sévissaient depuis des mois dans le pays. Les économistes l’expliquaient par l’augmentation générale des catastrophes naturelles dans le monde, qui causait une hausse du prix des denrées et donc une diminution du niveau de vie. On parlait de tensions sociales qui augmentaient un peu partout, de racisme croissant insidieusement dans les esprits, de toute une rancœur floue, grandissante, attisée et reprise en chœur par les partis populistes.


Deux jeunes héros en prise avec les pires aspects de l'époque actuelle

Ce roman comporte une dimension humaine forte tout en résonant avec l’époque actuelle puisqu’il décrit la montée des extrêmes, la fragilisation des institutions, les dérèglements écologiques et politiques, et une démocratie de plus en plus affaiblie. On ne peut qu’éprouver de l’empathie pour les deux jeunes héros dont les aspirations et les espoirs vont se heurter brutalement à un monde impitoyable.

Elle disait avoir entendu parler d’une place qui allait peut-être se libérer, pour lui, chez un collègue quand plusieurs bruits énormes, résonnant tels des coups de tonnerre successifs lui coupèrent la parole. Ils sursautèrent tous deux, elle s'agrippant à lui pour ne pas tomber dans le fleuve, puis tournèrent la tête vers l’autre rive. La façade de l'Assemblée nationale était fissurée de toutes parts. L’onde de choc de la bombe en avait éventré un côté qui s’effondrait, les colonnes de pierre basculant lentement, puis se brisant au sol tels les vestiges d’un monument romain.
Après quelques instants de stupéfaction, Alice se leva énergiquement. Elle pensait à son député, voulait s’assurer qu’il était sain et sauf… Effrayé par les clameurs grandissantes de la manifestation qui, au-dessus d’eux, prenait des airs de lutte, François fut tenté de la retenir mais, déjà seul sur le quai, et vue l’importance historique des événements que la France traversait depuis quelques jours, il se sentit lui aussi comme irrésistiblement attiré.
C’est en haut des escaliers qu’il parvint à la rattraper. À l’entrée du pont, les manifestants avaient déjà forcé le faible barrage de CRS et une foule massive se dirigeait vers l’Assemblée nationale. Ils intégrèrent le flot, mais se perdirent rapidement de vue jusqu’à la façade en ruine du Palais Bourbon, où la grille et le barrage des gendarmes cédaient de toutes parts, émeutiers et forces de l'ordre se battant à coups de matraques, de barres de fer et de boucliers anti-émeutes.
Il crut apercevoir la robe bleue d’Alice qui tentait de se frayer un passage dans les décombres, s’y précipita à son tour, évitant de justesse un coup qui ne lui était pas destiné. Il ne la voyait plus, se faufila dans l’ombre d’une crevasse étroite, se cogna la tête contre la pierre froide, jura, se baissa en progressant dans l’obscurité grandissante, pour finalement déboucher au centre de l’hémicycle.
Ici, partiellement écrasés par l’écroulement du toit, les fauteuils de velours rouge brûlaient d’un incendie naissant et, autour de lui, les assaillants prenaient possession des lieux avec des cris de victoire. L’un d’eux, un fusil d’assaut dans les mains, tira une puissante rafale vers le plafond à moitié détruit et François courut se réfugier dans un couloir adjacent.

 

Un livre réaliste, intelligent et nuancé

Le roman offre une vision réaliste des « coulisses » du pouvoir : campagne électorale, arrière‑salles de lAssemblée nationale, métiers et milieux identifiables (attachés parlementaires, lobbyistes, étudiants de Sciences Po, politiciens).

C’est un roman intelligent, généreux et ambitieux : accessible, haletant et pourtant nourri de références, il napporte pas de solution mais affronte les contradictions avec nuance.

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